• Sitôt que nos bouches se touchent,
    Nous nous sentons tant plus clairs de nous-mêmes
    Que l'on dirait des Dieux qui s'aiment
    Et qui s'unissent en nous-mêmes ;

    Nous nous sentons le coeur si divinement frais
    Et si renouvelé par leur lumière
    Première
    Que l'univers, sous leur clarté, nous apparaît.

    La joie est à nos yeux le seul ferment du monde...

  • Voici quinze ans déjà que nous pensons d'accord ;
    Que notre ardeur claire et belle vainc l'habitude,
    Mégère à lourde voix, dont les lentes mains rudes
    Usent l'amour le plus tenace et le plus fort.

    Je te regarde, et tous les jours je te découvre,
    Tant est intime ou ta douceur ou ta fierté :
    Le temps, certe, obscurcit les yeux de ta beauté,
    Mais exalte...

  • Dans son village, au pied des digues,
    Qui l'entourent de leurs fatigues
    De lignes et de courbes vers la mer,
    Le blanc cordier visionnaire
    A reculons, sur le chemin,
    Combine, avec prudence, entre ses mains,
    Le jeu tournant de fils lointains
    Venant vers lui de l'infini.

    Là-bas, En ces heures de soir ardent et las,
    Un ronflement de roue...

  • Parmi l'étang d'or sombre
    Et les nénuphars blancs,
    Un vol passant de hérons lents
    Laisse tomber des ombres.

    Elles s'ouvrent et se ferment sur l'eau
    Toutes grandes, comme des mantes ;
    Et le passage des oiseaux, là-haut,
    S'indéfinise, ailes ramantes.

    Un pêcheur grave et théorique
    Tend vers elles son filet clair,
    Ne voyant pas...

  • Pour nous aimer des yeux,
    Lavons nos deux regards de ceux
    Que nous avons croisés, par milliers, dans la vie
    Mauvaise et asservie.

    L'aube est en fleur et en rosée
    Et en lumière tamisée
    Très douce ;
    On croirait voir de molles plumes
    D'argent et de soleil, à travers brumes,
    Frôler et caresser, dans le jardin, les mousses.
    Nos bleus et...

  • La glycine est fanée et morte est l'aubépine ;
    Mais voici la saison de la bruyère en fleur
    Et par ce soir si calme et doux, le vent frôleur
    T'apporte les parfums de la pauvre Campine.

    Aime et respire-les, en songeant à son sort
    Sa terre est nue et rêche et le vent y guerroie ;
    La mare y fait ses trous, le sable en fait sa proie
    Et le peu qu'on lui...

  • Vers une lune toute grande,
    Qui reluit dans un ciel d'hiver
    Comme une patène d'or vert,
    Les nuages vont à l'offrande.

    Ils traversent le firmament,
    Qui semble un choeur plein de lumières
    Où s'étageraient des verrières
    Lumineuses obscurément,

    Si bien que ces nuits remuées
    Mirent au fond de marais noirs,
    Comme en de colossaux...

  • J'ai cru à tout jamais notre joie engourdie
    Comme un soleil fané avant qu'il ne fût nuit,
    Le jour qu'avec ses bras de plomb, la maladie
    M'a lourdement traîné vers son fauteuil d'ennui.

    Les fleurs et le jardin m'étaient crainte ou fallace ;
    Mes yeux souffraient à voir flamber les midis blancs,
    Et mes deux mains, mes mains, semblaient déjà trop lasses...

  • Le paysage il a changé - et des gradins,
    Mystiquement fermés de haies,
    Inaugurent parmi des plants d'ormaies.
    Une vert et or enfilade de jardins.

    Chaque montée est un espoir
    En escalier vers une attente ;
    Par les midis chauffés la marche est haletante
    Mais le repos attend au bout du soir.

    Les ruisselets qui font blanches les fautes
    ...

  • Je rêve une existence en un cloître de fer,
    Brûlée au jeûne et sèche et râpée aux cilices,
    Où l'on abolirait, en de muets supplices,
    Par seule ardeur de l'âme, enfin, toute la chair.

    Sauvage horreur de soi si mornement sentie !
    Quand notre corps nous boude et que nos nerfs, la nuit,
    Jettent sur nos vouloirs leur cagoule d'ennui,
    Ou brusquement nous...