• Fatigué des méchants et des sots : — soucieux
    Des lâchetés d’un monde immoral et factice,
    Je fuis vers l’horizon d’où viendra la Justice,
    Et je hais les vivants quand je songe aux aïeux.

    Une femme, aux baisers chastes et sérieux,
    A trempé ma fierté dans son amour complice ;
    Et je lui dis : — « Quand tu craindras que je faiblisse,
    » Mets la main sur...

  • Bien des siècles depuis les siècles du Chaos,
    La flamme par torrents coula de ce cratère,
    Et ce pic ébranlé d’un éternel tonnerre
    A flamboyé plus haut que les Chimborazos.

    Tout s’est éteint. La nuit n’a plus rien qui l’éclaire.
    Aucun grondement sourd n’éveille les échos.
    Le sol est immobile, et le sang de la Terre,
    La lave, en se figeant, lui laissa...

  • J’obéis aux vouloirs d’une fille aux yeux pers.
    En regardant ses yeux, je pense aux mers profondes
    Dont l’abîme inconnu désespère les sondes :
    Si je veux lire au fond de ses yeux, je m’y perds.

    Qui jamais résoudra le bizarre problème
    De son cœur ?… Est-ce moi, qui ne m’explique rien
    Quand je veux essayer de voir clair dans le mien,
    Et qui reste une...

  • Des enfants qui souffraient parce qu’ils étaient nés,
    Des femmes qui mouraient pour les avoir fait naître,
    Des hommes qui criaient comme font les damnés,
    Et qui voulaient la mort afin de ne plus être ;

    Des vieillards qui traînaient, — mornes, abandonnés,
    Le néant dans le cœur, le néant dans la tête, —
    Le long des tristes murs les débris de leur bête :...

  • Si chétive, une haleine, une âme,
    L’orpheline du porte-clés
    Promenait dans la cour infâme
    L’innocence en cheveux bouclés.

    Elle avait cinq ans ; son épaule
    Était blanche sous les haillons,
    Et, libre, elle emplissait la geôle
    D’éclats de rire et de rayons.

    Un bon vieux repris de justice
    Sculptait pour elle des joujoux ;
    L’ancien crime...

  • Vent, flèche, oiseau, tu passes
    A travers les espaces
    Où le jour s’alluma,
    Brillant Kâma !

    L’ombre diminuée
    Voit flotter la nuée
    De tes parfums ravis
    Aux madhavîs.

    Ton...

  • Malgré le froid, le ciel est en fête, et l’azur,
    Pâle encore, adoucit la lumière adorable ;
    Penché sur l’horizon, le soleil favorable
    Se répand et ne laisse aucun détail obscur.

    La colline montrant au loin sur un fond pur
    Le profil dépouillé d’un saule ou d’un érable,
    Abrite des maisons blanches, et sur le sable
    De la grève un vieux banc se chauffe...

  • Oh ! qui dira jamais, conque fine et nacrée,
    Dans combien d’océans, pendant combien d’hivers,
    Tu supportas, au choc enflammé des éclairs,
    L’assaut tumultueux de la haute marée !

    Maintenant, sous le ciel, parmi les fucus verts,
    Tu t’es fait un doux lit dans l’arène dorée.
    Mais ton espoir est vain. Longue et désespérée,
    En toi pleure à jamais la voix...

  • C’est une grande allée à deux rangs de tilleuls.
    Les enfants, en plein jour, n’osent y marcher seuls,
    Tant elle est haute, large et sombre.
    Il y fait froid l’été presque autant que l’hiver ;
    On ne sait quel sommeil en appesantit l’air
    ...

  • Que tes yeux sont charmants et profonds : ils sont plus
    Immenses que la mer et plus infinis qu’elle :
    Les horizons, qu’emplit la houle de son flux,
    Sont moins lointains que ceux qu’on voit en ta prunelle.

    Ma contemplation s’abîme dans tes yeux,
    Mer idéale dont les houles fantastiques
    Sur leur indéfini vague et silencieux
    Bercent languissamment mes...