• Un troupeau gracieux de jeunes courtisanes
    S'ébat et rit dans la forêt de mon âme.
    Un bûcheron taciturne et fou frappe
    De sa cognée dans la forêt de mon âme.

    Mais n'ai-je pas fait chanter sous mes doigts
    (Bûcheron, frappe !) la lyre torse trois fois ?
    (Bûcheron, frappe !) n'est-elle pas, mon âme,
    Comme un qui presse de rapides coursiers ?

  • N'écoute plus l'archet plaintif qui se lamente
    Comme un ramier mourant le long des boulingrins ;
    Ne tente plus l'essor des rêves pérégrins
    Traînant des ailes d'or dans l'argile infamante.

    Viens par ici : voici les féeriques décors,
    Dans du Sèvres les mets exquis dont tu te sèvres,
    Les coupes de Samos pour y tremper tes lèvres,
    Et les divans profonds...

  • Ô ma lyre, cessons de nous couvrir de cendre
    Comme auprès d'un cercueil !
    Je t'orne de verdure et ne veux plus entendre
    Des paroles de deuil.

    Mais non, fais retentir d'une douleur non feinte,
    Lyre, l'accent amer !
    N'es-tu pas l'alcyon qui calme de sa plainte
    Les vagues de la mer ?

  • Ô ciel aérien inondé de lumière,
    Des golfes de là-bas cercle brillant et pur,
    Immobile fumée au toit de la chaumière,
    Noirs cyprès découpés sur un rideau d'azur ;

    Oliviers du Céphise, harmonieux feuillages
    Que l'esprit de Sophocle agite avec le vent ;
    Temples, marbres brisés, qui, malgré tant d'outrages,
    Seuls gardez dans vos trous tout l'avenir...

  • Je songe à ce village assis au bord des bois,
    Aux bois silencieux que novembre dépouille,
    Aux studieuses nuits, - et près du feu je vois
    Une vieille accroupie et filant sa quenouille.

    Toi que j'ai rencontrée à tous les carrefours
    Où tu guidais mes pas, mélancolique et tendre,
    Lune, je te verrai te mirant dans le cours
    D'une belle rivière et qui commence...

  • De ce tardif avril, rameaux, verte lumière,
    Lorsque vous frissonnez,
    Je songe aux amoureux, je songe à la poussière
    Des morts abandonnés.

    Arbres de la cité, depuis combien d'années
    Nous nous parlons tout bas !
    Depuis combien d'hivers vos dépouilles fanées
    Se plaignent sous mes pas !

  • Rompant soudain le deuil de ces jours pluvieux,
    Sur les grands marronniers qui perdent leur couronne,
    Sur l'eau, sur le tardif parterre et dans mes yeux
    Tu verses ta douceur, pâle soleil d'Automne.

    Soleil, que nous veux-tu ? Laisse tomber la fleur,
    Que la feuille pourrisse et que le vent l'emporte !
    Laisse l'eau s'assombrir, laisse-moi ma douleur
    ...

  • Le gaz pleure dans la brume,
    Le gaz pleure, tel un oeil.
    - Ah ! prenons, prenons le deuil
    De tout cela que nous eûmes.

    L'averse bat le bitume,
    Telle la lame l'écueil.
    - Et l'on lève le cercueil
    De tout cela que nous fûmes.

    Ô n'allons pas, pauvre soeur,
    Comme un enfant qui s'entête,
    Dans l'horreur de la tempête

    Rêver...

  • Pourquoi cette rage,
    Ô ma chair, tu ne rêves
    Que de carnage,
    De baisers !
    Mon âme te regarde,
    En tes joutes, hagarde :
    Mon âme ne veut pas
    De ces folâtres pas.
    Aussi, parmi cette flamme,
    Que venez-vous faire,
    Ô mon âme !
    Ah, laissez
    Vos bouquets d'ancolie,
    Et faites de façon
    Que l'on vous oublie.

  • Roses, en bracelet autour du tronc de l'arbre,
    Sur le mur, en rideau,
    Svelte parure au bord de la vasque de marbre
    D'où s'élance un jet d'eau,

    Roses, je veux encor tresser quelque couronne
    Avec votre beauté,
    Et comme un jeune avril embellir mon automne
    Au bout de mon été.