• O Vénus de Milo ! ma chère statuette,
    Seul reste d’un amour comme toi mutilé,
    Mon cœur, mon pauvre cœur, qui souffre et qui regrette,
    En ces strophes t’adresse un soupir désolé ;

    Je crois que tu dois bien comprendre ma tristesse,
    O chef-d’œuvre incomplet ! — comme tout ici-bas. —
    Où puis-je mieux pleurer, poëte sans maîtresse,
    Que sur le sein meurtri...

  • Sans relâche, depuis mille & huit cents années,
    Sous tous les ciels, le long des routes étonnées
    De ce passant ancien qui revenait toujours,
    Ahasvérus marchait, la tête & les pieds lourds.

    L’antique lassitude écrasait ce pauvre homme ;
    Et, tandis que, sans halte & sans espoir de somme,
    Il se traînait comme un blessé qui voudrait fuir,
    Cinq...

  • Des perles encor mouillent son bras blanc.
    Couchée en un lit de joncs verts & d’herbes,
    Le sein ombragé d’un rameau tremblant,
    Au bruissement des chênes superbes,
    Aux molles rumeurs des halliers épais,
    Non loin de la source elle rêve en paix.
    Tandis qu’au rebord des souples lianes,
    Sur son reflet nu se figent pâmés
    Les flots du bassin, lèvres...

  • A l’Impruneta les filles sont belles !
    Des ailes aux pieds, dans l’œil du soleil,
    La tête aux aguets comme les gazelles,
    Le sein, droit & fier, aux rosiers pareil.
    A l’Impruneta les filles sont belles.

    A l’Impruneta les gars sont hardis !
    Chevelure éparse où la brise joue ;
    Ils seront soldats, bergers ou bandits.
    Une pourpre chaude allume...

  • Le présent, le passé, l’avenir d’une femme,
    Des gens fort sérieux prétendent tout avoir.
    Ils prendraient volontiers son image au miroir,
    Au papillon son aile, au diamant sa flamme.

    Dans l’abîme insondable ils aimeraient à voir,
    Avec leurs gros yeux ronds, ces bourgeois de vieux drame,
    La perle blanche éclose aux profondeurs de l’âme,
    Ils seraient...

  • Au visage de mon squelette
    Voici le loup de velours noir,
    Le loup où votre lèvre, un soir.
    Mit des parfums de violette.

    Par cette antithèse toujours
    Je veux me rappeler, madame,
    Le vide aimable de votre âme
    Et la vanité des amours.

    Oh ! je ne me plains pas : la chose
    Est trop connue en vérité ;
    Mais j’ai quelque peu regretté
    ...

  • L’ombre bleuâtre & claire au milieu des allées,
    Comme un long voile plein de taches étoilées,
    Cache à peine la terre & flotte avec douceur ;
    Le soleil, en rayant la légère épaisseur,

    Forme des réseaux d’or où palpitent mes rêves.
    Les frênes aux bourgeons rouges du sang des séves
    Frissonnent. Les bouleaux, à leur feuillage blanc
    Prenant la...

  • Ce n’est pas seulement de la flamme & de l’air
    Qui montent du foyer en légères fumées,
    Lorsqu’au rayonnement des bûches allumées
    On rêve devant l’âtre où pétille un feu clair.

    Ce n’est pas sous le tas des braises consumées
    Qu’à la fin les chenets s’en vont ensevelis ;
    Si de la cendre grise on remuait les plis,
    Que de choses souvent en seraient...

  • C’est une heure d’angoisse indicible, que l’heure
    Où, las de nos désirs sans cesse démentis,
    Nous voulons, maudissant la vie extérieure,
    Rentrer dans l’idéal d’où nous étions sortis.

    Car, désaccoutumés par notre ingratitude
    Des charmes de l’idée & de l’amour des dieux,
    Nous ne retrouvons plus la sévère habitude
    Des graves sentiments & des...

  • Battu des vents, fouetté des eaux, la face ouverte
    Par la foudre, voué par l’Église à l’Enfer,
    Le Men-Hir des Kimris, sur la lande déserte,
    Comme un géant vaincu, chancelle aux nuits d’hiver.

    Maudit aussi, tordu, mais la tête encor verte,
    Le chêne des Bretons, nouant ses bras de fer,
    De son baiser vaillant soutient l’idole inerte,
    Et se met en...