• Le soleil s'est couvert d'un crêpe. Comme lui,
    Ô Lune de ma vie ! emmitoufle-toi d'ombre ;
    Dors ou fume à ton gré ; sois muette, sois sombre,
    Et plonge tout entière au gouffre de l'Ennui ;

    Je t'aime ainsi ! Pourtant, si tu veux aujourd'hui,
    Comme un astre éclipsé qui sort de la pénombre,
    Te pavaner aux lieux que la Folie encombre,
    C'est bien ! Charmant...

  • Toi qui, comme un coup de couteau,
    Dans mon coeur plaintif es entrée ;
    Toi qui, forte comme un troupeau
    De démons, vins, folle et parée,

    De mon esprit humilié
    Faire ton lit et ton domaine ;
    - Infâme à qui je suis lié
    Comme le forçat à la chaîne,

    Comme au jeu le joueur têtu,
    Comme à la bouteille l'ivrogne,
    Comme aux vermines la...

  • Homme libre, toujours tu chériras la mer !
    La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme
    Dans le déroulement infini de sa lame,
    Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.

    Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
    Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
    Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
    Au bruit de cette plainte indomptable et...

  • Viens, mon beau chat, sur mon coeur amoureux ;
    Retiens les griffes de ta patte,
    Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux,
    Mêlés de métal et d'agate.

    Lorsque mes doigts caressent à loisir
    Ta tête et ton dos élastique,
    Et que ma main s'enivre du plaisir
    De palper ton corps électrique,

    Je vois ma femme en esprit. Son regard,
    Comme le tien...

  • La musique souvent me prend comme une mer !
    Vers ma pâle étoile,
    Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther,
    Je mets à la voile ;

    La poitrine en avant et les poumons gonflés
    Comme de la toile,
    J'escalade le dos des flots amoncelés
    Que la nuit me voile ;

    Je sens vibrer en moi toutes les passions
    D'un vaisseau qui souffre ;
    Le...

  • La Maladie et la Mort font des cendres
    De tout le feu qui pour nous flamboya.
    De ces grands yeux si fervents et si tendres,
    De cette bouche où mon coeur se noya,

    De ces baisers puissants comme un dictame,
    De ces transports plus vifs que des rayons,
    Que reste-t-il ? C'est affreux, ô mon âme !
    Rien qu'un dessin fort pâle, aux trois crayons,
    ...

  • Connais-tu, comme moi, la douleur savoureuse,
    Et de toi fais-tu dire : " Oh ! l'homme singulier ! "
    - J'allais mourir. C'était dans mon âme amoureuse,
    Désir mêlé d'horreur, un mal particulier ;

    Angoisse et vif espoir, sans humeur factieuse.
    Plus allait se vidant le fatal sablier,
    Plus ma torture était âpre et délicieuse ;
    Tout mon coeur s'arrachait au...

  • J'ai longtemps habité sous de vastes portiques
    Que les soleils marins teignaient de mille feux
    Et que leurs grands piliers, droits et majestueux,
    Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.

    Les houles, en roulant les images des cieux,
    Mêlaient d'une façon solennelle et mystique
    Les tout-puissants accords de leur riche musique
    Aux couleurs du...

  • Tout homme digne de ce nom
    A dans le coeur un Serpent jaune,
    Installé comme sur un trône,
    Qui, s'il dit : " Je veux ! " répond : " Non ! "

    Plonge tes yeux dans les yeux fixes
    Des Satyresses ou des Nixes,
    La Dent dit : " Pense à ton devoir ! "

    Fais des enfants, plante des arbres,
    Polis des vers, sculpte des marbres,
    La Dent dit : " Vivras...

  • Rubens, fleuve d'oubli, jardin de la paresse,
    Oreiller de chair fraîche où l'on ne peut aimer,
    Mais où la vie afflue et s'agite sans cesse,
    Comme l'air dans le ciel et la mer dans la mer ;

    Léonard de Vinci, miroir profond et sombre,
    Où des anges charmants, avec un doux souris
    Tout chargé de mystère, apparaissent à l'ombre
    Des glaciers et des pins qui...