• Aux hommes de mon temps je rêve un cœur hanté
    Par quelque grand projet d’envergure superbe,
    Tel que les bons géants qui sommeillent sous l’herbe
    En concevaient aux temps féconds de l’équité.

    Et, prenant mon désir pour la réalité,
    Comme à Lazare mort un jour parla le Verbe,
    Je leur dis : Levez-vous, car voici que la gerbe
    Du froment de justice est mûre...

  • Ses cheveux sont rougis d’un flot de sang vermeil ;
    De ses lèvres en fleur s’envole un dernier râle ;
    Ainsi qu’un lis fauché, le jeune héros pâle
    Dort, sur des étendards, de l’éternel sommeil.

    Le chapelain, de l’âme évoquant le réveil,
    Devant le trépassé chante de sa voix mâle ;
    Les rudes lansquenets, tout bronzés par le hâle,
    Entourent, à genoux, le...

  • Je porte en moi l’âme du Monde,
    L’âme du magnifique & vivant Univers,
    Ame mobile, âme féconde
    Où des Printemps hardis chassent les durs Hivers !

    ...

  • Son nom ?… — Tu veux savoir s’il fut illustre ou non ?
    Eh bien ! je ne sais pas. Que peut te faire un nom ?
    Personne sur son front n’inscrit le nom qu’il porte.
    C’était un homme, avec un nom ; mais que t’importe ?
    — Sa race ? — Laissons là, crois-moi, tous ses aïeux.
    L’âme de bien des morts tressaillait dans ses yeux,
    Mais la sienne, à coup sûr, l’obsédait...

  • J’aimais autrefois la forme païenne ;
    Je m’étais créé, fou d’antiquité,
    Un blanc idéal de marbre sculpté
    D’hétaïre grecque ou milésienne.

    Maintenant j’adore une Italienne,
    Un type accompli de modernité,
    Qui met des gilets, fume & prend du thé,
    Et qu’on croit Anglaise ou Parisienne.

    L’amour de mon marbre a fait un pastel,
    Les yeux...

  • En la trentième année, au siècle de l’épreuve,
    Étant captif parmi les cavaliers d’Assur,
    Thogorma, le Voyant, fils d’Élam, fils de Thur,
    Eut ce rêve, couché dans les roseaux du fleuve,
    A l’heure où le soleil blanchit l’herbe & le mur.

    Depuis que le Chasseur Iahveh, qui terrasse
    Les forts & de leur chair nourrit l’aigle & le chien,
    Avait...

  • Ami, tu verras à Venise,
    Dans la cour du palais ducal,
    Ciselés d’une main exquise,
    Deux puits revêtus de métal.

    C’est là que, sveltes, court-vêtues,
    Tout le jour les porteuses d’eau,
    En découvrant leurs jambes nues,
    Plongent & retirent leur seau.

    Au balcon de la haute loge,
    Malade & dévoré d’ennuis,
    Un pâle enfant, le fils...

  • Quand le canot partit, en laissant un frisson
    Aux feuillages du bord qui pendaient sur l’eau claire,
    Elle chantait un air indolent de chanson,
    Et nos voix répétaient le refrain populaire.

    Elle semblait, dans son costume rouge & noir,
    Vêtue étrangement & mise en canotière,
    Une baigneuse au corps lassé qui vient s’asseoir
    Sur le bateau tremblant...

  • Déesse, dis comment ce fut le Roi, ton fils,
    Guerrier pareil aux Dieux, qui façonna jadis
    La Cithare, pieux vainqueur du fleuve sombre,
    Puis inventa les Chants soumis aux lois du Nombre,
    Envolés & captifs & gardant leur trésor
    Comme un voile fermé par une agrafe d’or !
    Le soir baignait de feux les cimes du Rhodope.
    Ces grands monts désolés que...

  • Non, plus pour aujourd’hui, plus de grandes pensées,
    De saintes questions à la hâte embrassées,
    D’énergiques efforts, d’élans fiers & hardis.
    Mon esprit est lassé, mes doigts sont engourdis.
    L’automne est la saison des rêves, nous y sommes,
    Elle parle ; rêvons, & laissons là les hommes,
    Leur bruit & leur destin. Prenons à notre choix
    L’un...