• Quand l’immémoriale antiquité des jours
    Commençait pour ce globe et ses vides séjours,
    L’obscure volonté selon qui la matière
    Se ruait à remplir sa destinée entière
    Faisait sur le désert universel des eaux
    Voguer des continents comme de grands vaisseaux ;
    Et, la nuit, sous l’œil clair des récentes étoiles,
    Les forêts s’emplissaient de vent, comme des...

  • Sur le grand lit drapé de rideaux de dentelle
    Qu’une pale veilleuse éclairait à demi,
    Je m’assis en silence, et, m’accoudant près d’elle,
    Longtemps je contemplai son visage endormi.

    Est-il des cœurs si faux que leur sommeil nous mente ?
    — Qui croire alors ? — Penché sur elle et sans parler,
    Je regardais dormir cette tête charmante
    Qu’un rêve...

  • Miss Ellen, versez-moi le Thé
    Dans la belle tasse chinoise,
    Où des poissons d’or cherchent noise
    Au monstre rose épouvanté.

    J’aime la folle cruauté
    Des chimères qu’on apprivoise :
    Miss Ellen, versez-moi le Thé
    Dans la belle tasse chinoise.

    Là, sous un ciel rouge irrité,
    Une dame fière et sournoise
    Montre en ses longs yeux de...

  • Dans la pourpre de ce vieux Vin
    Une étincelle d’or éclate ;
    Un rayon de flamme écarlate
    Brille en son flot sombre et divin.

    Comme dans l’œil d’un vieux Sylvain
    Qu’une Nymphe caresse et flatte,
    Dans la pourpre de ce vieux Vin
    Une étincelle d’or éclate.

    Il ne coulera pas en vain !
    A le voir mon cœur se dilate :
    Il n’est pas de ceux qu...

  • Assis au revers d’un chemin,
    L’ombre en noyait les avenues —
    Tout seuls et la main dans la main
    Je baisais ses épaules nues.

    Blanche, la lune se levait ;
    — L’ombre en redoublait son mystère —
    Au moindre souffle tout avait
    Des frissons d’amour sur la terre.

    Et je respirais ses cheveux ;
    — L’ombre en buvait l’odeur suave —
    Et lui...

  • Saturne, Jupiter, Vénus, n’ont plus de prêtres.
    L’homme a donné les noms de tous ses anciens maîtres
    A des astres qu’il pèse et qu’il a découverts,
    Et le dernier des dieux dont le culte demeure,
    A son tour menacé, tremble que tout à l’heure
    Son nom ne serve plus qu’à nommer l’univers.

    Les paradis s’en vont ; dans l’immuable espace
    Le vrai monde élargi...

  • La vie est ainsi faite. On dit : « Le monde est grand. »
    On a, comme l’oiseau, des instincts d’émigrant,
    On voudrait en un jour voir l’Europe et l’Asie.
    Les ailes font défaut : « Prenons voile et vapeur.
    Nous fréterons un brick ou quelque bon clipper
    Qui nous emporte au gré de notre fantaisie.

    Nous cueillerons en Chine, au bord du fleuve Amour,
    La...

  • Errant dans le désert le Bédouin seul est libre ;
    L’immensité lui forme un abri triomphant.
    Du fauve qui surgit et du kemsin qui vibre
    Le formidable effroi l’entoure et le défend.

    Là, le Turc fatidique a perdu l’équilibre
    En trouvant contre lui la brute et l’élément,
    Tandis qu’à leur contact roidissant chaque fibre,
    Le Bédouin a conquis son...

  • Sous un ciel bas, d’un blanc triste, teinté de noir,
    Qui prend l’aspect blafard et morne d’un cilice,
    La rue étend au loin son pavé rond et lisse
    Que l’averse a rendu luisant comme un miroir.

    Quelques passants s’en vont, flanant sur le trottoir,
    Sans voir ces condamnés qui marchent au supplice :
    Des troupeaux de bœufs, dont le pied trébuche et glisse
    ...

  • J’aimais ses cheveux noirs comme des fils de jais
    Et toujours parfumés d’une exquise pommade,
    Et dans ces lacs d’ébène où parfois je plongeais
    S’assoupissait toujours ma luxure nomade.

    Une âme, un souffle, un cœur, vivaient dans ces cheveux,
    Puisqu’ils étaient songeurs, animés et sensibles.
    Moi, le voyant, j’ai lu de bizarres aveux
    Dans le miroitement...