• Le soleil s’est levé du milieu des collines
    Comme le premier-né divin des nuits d’été,
    Déchirant, dans un vol de flammes emporté,
    Du matin frissonnant les frêles mousselines.

    Les champs, l’eau, les forêts graves & sibyllines,
    La terre jusqu’au ciel tressaille de clarté.
    Le chœur universel des bêtes a chanté,
    Voix dans l’air, voix des bois,...

  • Un large ruban d’or illumine la cime
    Des coteaux dont la brume a noyé le versant.
    L’horizon se déchire, & le soleil descend
    Sous les nuages roux qui flottent dans l’abîme
    Comme un riche archipel sur une mer de sang.

    De confuses rumeurs s’éveillent par la plaine,
    Et dans son champ, debout aux rebords des sillons,
    Travailleur obstiné sous les...

  • Je connais un sentier sombre & marécageux
    Bordé d’herbe & de fleurs où l’abeille butine.
    Un jour, un crapaud vert qu’effleura sa bottine
    Fit l’enfant se pâmer de dégoût sous mes yeux.

    Je n’avais pas vingt ans, & n’aimais qu’elle au monde,
    Et posai sur sa bouche un baiser amoureux.
    Puis j’écrasai du pied le batracien immonde,
    Et j’en eus du...

  • Malheur à qui, tournant l’angle d’un carrefour,
    Insouciant, sourit en coudoyant le vice !
    Il faut qu’un noble cœur se révolte & frémisse,
    Quand, le soir, apparaît le spectre de l’amour.

    Il faut que l’âme honnête aspire à ce beau jour.
    Où finira l’immonde & navrant sacrifice ;
    Où la fille du peuple, arrachée au supplice,
    Sans effort marchera...

  • Toi qui m’entends parler sans frayeur de la mort,
    Parce que ton amour te promet qu’elle endort,
    Et que le court sommeil commencé dans son ombre
    S’achève au clair pays des étoiles sans nombre,
    Reçois mon dernier vœu pour le jour où j’irai
    Tenter seul, avant toi, si ton amour dit vrai.

    Ne cultive au-dessus de mes paupières closes
    Ni de grands dahlias,...

  • Je veux ensevelir au linceul de la rime
    Ce souvenir, malaise immense qui m’opprime.

    Quand j’aurai fait ces vers, quand tous les auront lus,
    Mon mal vulgarisé ne me poursuivra plus.

    Car ce mal est trop grand pour que seul je le garde ;
    Aussi j’ouvre mon âme à la foule criarde.

    Assiégez le réduit de mes rêves défunts,
    Et dispersez ce qu’il y reste de...

  • Il est de par le monde une vierge proscrite,
    Etre toujours maudit & toujours redouté,
    Fuyant sous les clameurs d’une foule hypocrite
    Qui peut tout lui ravir, hors l’immortalité.

    Elle est belle, & pourtant son radieux visage
    S’assombrit, traversé par des plis soucieux :
    On dirait un superbe & morne paysage
    Où l’ombre se répand sur l’or...

  • Par un étroit sentier des monts Hymalaya
    Où du ciel on entend les saints Alleluia,
    Deux hommes sont venus au-devant l’Un de l’autre.
    Le premier est vêtu de blanc comme un apôtre,
    Le second est couvert de toisons d’animaux,
    Tous les deux sont altiers & tous les deux sont beaux.

    « Où vas-tu, voyageur à la tunique blanche ?
    Tu marches incliné...

  • Dans la rade de Brest le navire est à l’ancre.
    La nuit tombe ; le flot clapote, couleur d’encre ;
    Les astres rarement percent un ciel couvert.
    Courant en longs serpents sur l’onde qui vacille,
    Deux fanaux, sur le flanc du navire immobile,
    Luisent, l’un rouge, l’autre vert.

    ...
  • Sur le blanc parvis où Venise
    Vit Barberousse le païen
    Baiser de sa lèvre soumise
    Le pied nu d’un moine italien,

    Aujourd’hui rendez-vous des filles,
    Des portefaix, des désœuvrés,
    Des soldats pâles, sans familles,
    Qui fument, dans un coin serrés,

    Comme aux jours de la gloire antique,
    Quand midi sonne, & qu’ils ont faim,
    Les...