• Comme j’ai poursuivi des mirages heureux
    Au fond de tes grands yeux où le rêve s’azure,
    Je veux, pour te payer ma dette avec usure,
    Te faire un monument de mes vers amoureux.

    Comme tes yeux m’ont fait des peines sans mesure,
    Mes vers, en t’exaltant, te seront rigoureux :
    Car ton nom nulle part ne sera dit par eux,
    Et de le bien garder ta tombe sera...

  • Timide, il me souvient qu’un jour je l’ai menée
    Sur la terrasse haute au splendide coup d’œil,
    Où jadis un château gothique sous l’orgueil
    De ses tours a tenu la plaine dominée.

    C’était en juin, le mois le plus doux de l’année,
    Le soir de la Saint-Jean… Les étoiles, au seuil
    Du ciel bleu, surgissaient pâles et comme en deuil,
    La plaine de grands feux...

  • Les vieux tilleuls fleuris embaument… Le parterre,
    Abandonné, végète au gré de la saison.
    De la grille on ne voit qu’un pan de la maison
    Petite et sombre au fond d’un quartier solitaire.

    La maison est petite : et d’un air de mystère
    Les massifs du jardin bornent son horizon.
    Tout ce qu’ont écouté cette ombre et ce gazon
    D’extatiques secrets, on voit...

  • Je voudrais me plonger dans la source féconde
    Où l’herbe au sable fin mêle ses verts réseaux,
    Et reposer auprès de la Naïade blonde
    Qui s’épanouit là comme une fleur des eaux.

    Moi-même j’épandrais de son urne profonde
    La nappe bleue et claire où tremblent les roseaux ;
    Et parfois je ferais envoler des oiseaux,
    Pour voir le reflet noir de leurs ailes...

  • Quand celle dont la grâce en mon âme est empreinte
    M’a dit, un peu craintive & riant de sa crainte,
    Qu’elle s’était piquée au doigt : « Tenez, voyez ! »
    Lorsque j’ai vu, parmi ses autres doigts ployés,
    A l’annulaire qui dans ma main tremble & bouge,
    Une goutte de sang perler brillante & rouge,
    Avant que mon esprit troublé ne raisonnât,
    Mes...

  • Visible affreusement dans le courroux des mers,
    C’est bien toi, Poséidôn ! que brave en mots amers
    Ajax, le noir trident suspendu sur sa tête ;
    Prométhée, appelant la foudre qui s’apprête,
    A vu Zeus se dresser & les cieux obscurcis
    Trembler au froncement des terribles sourcils :
    Et c’est pourquoi nul temps n’effacera la gloire
    De ces défis gravés...

  • Qui donc frappe à cette heure ? — Un voyageur si las
    Qu’il ne pourrait pas faire un pas de plus. — Hélas !
    Entre, j’ai vu l’appel que ton bras faible agite ;
    Et dis ce qu’il te faut, tu l’auras. — Rien qu’un gîte,
    Rien qu’un lit. — Mais d’abord qu’un feu clair & vermeil
    Te ranime ; tu dois avoir froid ? — J’ai sommeil,
    Je veux un lit. — Le lit t’est...

  • Si la mort n’est pas l’ouverture
    Du néant vaste où rien ne luit ;
    S’il faut attendre dans sa nuit
    On ne sait quelle aube future ;

    Si l’espoir du repos nous ment ;
    Si le tourment de la pensée
    A la chair inerte & glacée
    Survit impérissablement ;

    Si la loi de Dieu tyrannique
    Sur l’angoisse, triste oreiller !
    Force les âmes de...

  • Pauvres fleurs d’un bouquet de fête,
    Votre fraîcheur, que peu d’instants
    Effaceront, semble mal faite
    Pour promettre d’aimer longtemps !

    Peut-on, sans ironie amère,
    Engager l’avenir lointain,
    Quand on est la rose éphémère
    Ou le liseron d’un matin ?

    Mais dites à la bien-aimée,
    Fleurs frêles aux tendres couleurs,
    Que votre beauté...

  • Tes canaux et ta lagune,
    Tes campaniles hardis,
    O Venise, on les a dits,
    Et mille fois plutôt qu’une !

    Mais on n’a pas dit assez
    Le charme frais de tes rues,
    Qu’ont sans profit parcourues
    Les touristes compassés.

    — Conquis sur la mer rivale
    A force de pilotis,
    Les logis drus, haut bâtis,
    Se pressent sans intervalle ;

    Et...