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    On dit que les désirs des mères
    Pendant qu’elles portent l’enfant,
    Fussent-ils d’étranges chimères,
    Le marquent d’un signe vivant ;

    Que ce stigmate est une image
    De l’objet qu’elles ont rêvé,
    Qu’il croît et s’incruste avec l’âge,
    Qu’il ne peut pas être lavé !

    Et le vœu, bizarre ou sublime,
    Formé dès avant le berceau,
    Comme...

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    La pudeur n’a pas de clémence,
    Nul aveu ne reste impuni,
    Et c’est par le premier nenni
    Que l’ère des douleurs commence.

    De ta bouche où ton cœur s’élance
    Que l’aveu reste donc banni !
    Le cœur peut offrir l’infini
    Dans la profondeur du silence.

    Baise sa main sans la presser
    Comme un lis facile à blesser,
    Qui tremble à la...

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    Il est plus d’un silence, il est plus d’une nuit,
    Car chaque solitude a son propre mystère :
    Les bois ont donc aussi leur façon de se taire
    Et d’être obscurs aux yeux que le rêve y conduit.

    On sent dans leur silence errer l’âme du bruit,
    Et dans leur nuit filtrer des sables de lumière.
    Leur mystère est vivant : chaque homme à sa manière
    Selon...

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    Silène boit. Sa tête est molle sur son cou ;
    Dédaigneux d’un soutien, il s’incline et se cambre,
    Tend sa coupe en tremblant, lui parle, y goûte l’ambre,
    Et vante sa sagesse avec un œil de fou.

    Il laisse au gré de l’âne osciller son enflure ;
    L’essaim des nymphes rit sur le rideau des cieux :
    Tendre, et les doigts errants dans une chevelure,
    Il...

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    Toute haleine s’évanouit,
    La terre brûle et voudrait boire,
    L’ombre est courte, immobile et noire,
    Et la grande route éblouit.

    Seules les abeilles vibrantes
    Élèvent leurs bourdonnements
    Qui semblent, enflés par moments,
    Des sons de lyres expirantes.

    On les voit, ivres de chaleur,
    D’un vol traînant toutes se rendre...

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    En ces temps où le corps éclôt pour s’avilir,
    Où des races le sang fatigué dégénère,
    Tu nous épargneras, Suzanne, enfant prospère,
    De voir en toi la fleur du genre humain pâlir.

    Deux artistes puissants sont jaloux d’embellir
    En toi l’âme immortelle et l’argile éphémère :
    Le dieu de la nature et celui de ta mère ;
    L’un travaille à t’orner, et l...

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    Par moments je souhaite une esclave au beau corps,
    Sans ouïe et sans voix, pour toute bien-aimée.
    À son oreille close, aux rougeurs de camée,
    Le feu de mon soupir dirait seul mes transports,

    Et sa bouche, semblable aux coupes dont les bords
    Distillent en silence une ivresse enflammée,
    M’offrirait son ardeur sans me l’avoir nommée :
    Nous nous...

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    Ne jamais la voir ni l’entendre,
    Ne jamais tout haut la nommer,
    Mais, fidèle, toujours l’attendre,
           Toujours l’aimer.

    Ouvrir les bras et, las d’attendre,
    Sur le néant les refermer,
    Mais encor, toujours les lui tendre,
           Toujours l’aimer.

    Ah ! Ne pouvoir que les lui tendre,
    Et dans les pleurs se consumer,
    Mais ces...

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    J’aime les grottes où la torche
    Ensanglante une épaisse nuit,
    Où l’écho fait, de porche en porche,
    Un grand soupir du moindre bruit.

    Les stalactites à la voûte
    Pendent en pleurs pétrifiés
    Dont l’humidité, goutte à goutte,
    Tombe lentement à mes pieds.

    Il me semble qu’en ces ténèbres
    Règne une douloureuse paix ;
    Et devant ces...

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    Je n’entends que le bruit de la rive et de l’eau,
    Le chagrin résigné d’une source qui pleure
    Ou d’un rocher qui verse une larme par heure,
    Et le vague frisson des feuilles de bouleau.

    Je ne sens pas le fleuve entraîner le bateau,
    Mais c’est le bord fleuri qui passe, et je demeure ;
    Et dans le flot profond que de mes yeux j’effleure,
    Le ciel...