•  
    I

    Sous le regard de Dieu, ce témoin taciturne,
    Dix ans — déjà dix ans ! — ont renversé leur urne
    Dans ce tonneau sans fond qu’on nomme Éternité,
    Depuis que, délaissés dans leur tombe anonyme,
    A tous les carrefours, sous le pavé sublime,
    Gisent les saints martyrs morts pour la Liberté I

    Une terre jetée à la hâte les couvre.
    Ceux-ci,...

  • Vénus teignit la rose blanche
    De son sang, divine liqueur :
    Du nectar que ta fleur épanche
    Réserve un rubis pour mon cœur ;

    Teins de ta pourpre cette soie,
    Et fais, par un charmant retour,
    Du ruban blanc que je t’envoie
    Le ruban rouge de l’amour.

  • Dans un bosquet plein de mystère
    La Baigneuse de Bouguereau,
    Posant comme pour un clystère,
    Montre son cul au bord de l’eau.

    L’attitude n'est pas vulgaire ;
    Elle développe un contour
    Commode pour l’apothicaire
    Et plus commode pour l’Amour !

  • RÉPONSE À UNE INVITATION À DÎNER

    Garnier, grand maître du fronton,
    De l’astragale et du feston,
    Demain, lâchant là mon planton,
    Du fond de mon lointain canton
    J’arriverai, tardif piéton,
    Aidant mes pas de mon bâton,
    Et précédé d’un mirliton,
    Duilius du feuilleton,
    Prendre part à ton gueuleton,
    Qu’arrosera le piqueton...

  •  

    Le temps efface l’Art avec un doigt trop prompt,
    Et l’Éternité manque à la forme divine.
    Le Vinci sous son crêpe à peine se devine,
    Et de Monna Lisa l’ombre envahit le front.

    Ce que nos yeux ont vu, bien peu d’yeux le verront.
    On cherche au Vatican Raphaël en ruine,
    Michel-Ange s’éteint aux murs de la Sixtine;
    Comme Apelle et Zeuxis ils s’...

  •  

    Sous ce petit format commode,
    Un grand problème est agité :
    On y cherche si la beauté
    Peut s’arranger avec la mode.

    Notre art, à tort, répète l’ode
    Que dans sa blanche nudité
    Chanta la jeune antiquité ;
    Il faut qu’au temps on s’accomode.

    Dans nos bals, aujourd’hui, Vénus
    Gonflerait ses charmes connus
    Du mensonge des...

  • Vous partez, chers amis ; la bise ride l’onde,
    Un beau reflet ambré dore le front du jour ;
    Comme un sein virginal sous un baiser d’amour,
    La voile sous le vent palpite et se fait ronde.

    Une écume d’argent brode la vague blonde,
    La rive fuit. — Voici Mante et sa double tour,
    Puis cent autres clochers qui filent tour à tour ;
    Puis Rouen la gothique et...

  • Vous avez un regard singulier et charmant ;
    Comme la lune au fond du lac qui la reflète,
    Votre prunelle, où brille une humide paillette,
    Au coin de vos doux yeux roule languissamment ;

    Ils semblent avoir pris ses feux au diamant ;
    Ils sont de plus belle eau qu’une perle parfaite,
    Et vos grands cils émus, de leur aile inquiète
    Ne voilent qu’à demi...

  • Dans un café plus noir qu’un antre,
    En rang d’oignons sur un bahut,
    Six coquins regardent un ventre
    Qui danse tout seul le chahut.

    Avec ce ventre ferme et lisse
    Qu’agite un tordion subtil
    Plus d’un galant, sans la police,
    Irait bien trinquer du nombril.

  • EN REPONSE À L’ENVOI D’UN FRAGMENT DE L’« APOTHÉOSE D’HOMÈRE »

    Du plafond où, les pieds sur le blanc escabeau,
    Trône Homère, au milieu de l’immortelle foule
    Dont le chœur dans l’azur s’étage et se déroule,
    Pour m’en faire présent tu coupas un lambeau.

    Merci, maître invaincu, prêtre fervent du beau,
    Qui de la forme pure as conservé le moule...