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    Un soir, vaincu par le labeur
    Où s’obstine le front de l’homme,
    Je m’assoupis, et dans mon somme
    M’apparut un bouton de fleur.

    C’était cette fleur qu’on appelle
    Pensée ; elle voulait s’ouvrir,
    Et moi je m’en sentais mourir :
    Toute ma vie allait en elle.

    Echange invisible et muet :
    A mesure que ses pétales
    Forçaient les...

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    Elle est si douce la pensée
    Qu’il faut, pour en sentir l’attrait,
    D’une vision commencée
    S’éveiller tout à coup distrait.

    Le cœur dépouillé la réclame ;
    Il ne la fait point revenir,
    Et cependant elle est dans l’âme,
    Et...

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    A Rome, le mardi, se rendent au marché,
    Pour vendre leur poisson dans le Tibre péché,
    Les grands paysans bruns et les filles trapues.
    Ils ont fait leur abri de deux voûtes rompues,
    Dont l’une dans sa chute a longtemps hésité,
    Et par un vieil instinct de sa caducité
    Reste, comme un dormeur qui sans tomber chancelle,
    Le poisson tout humide et...

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    Le poète naïf, qui pense avant d’écrire,
    S’étonne, en ce temps-ci, des choses qui font rire.
    Au théâtre parfois il se tourne, et, voyant
    La gaîté des badauds qui va se déployant,
    Pour un plat calembour, des loges au parterre,
    Il se sent tout à coup tellement solitaire
    Parmi ces gros rieurs au ventre épanoui,
    Que, le front lourd et l’œil...

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    Soudain je t’ai si fort pressée
    Pour sentir ton cœur bien à moi,
    Que je t’en ai presque blessée,
    Et tu m’as demandé pourquoi.

    Un mot, un rien, m’a tout à l’heure
    Fait étreindre ainsi mon trésor,
    Comme, au moindre vent qui l’effleure,
    L’avare en hâte étreint son or ;

    La porte de sa cave est sûre,
    Il en tient dans son poing la clé,...

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    Vrai Dieu, si quelque part dans un monde écarté
    J’eusse grandi tout seul, nourri par une chèvre,
    Sans maîtres, bégayant du cœur et de la lèvre,
    Par l’esprit et les yeux épelant la clarté,

    J’aurais pu dans tes bras jouir en liberté
    Des robustes plaisirs dont l’étude me sèvre ;
    Religieux debout, et curieux sans fièvre,
    Je n’aurais pas perdu la...

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    Nous aimons à rôder sur la place Navone.
    Ah ! le pied n’y bat point l’asphalte monotone,
    Mais un rude pavé, houleux comme une mer.
    Des maraîchers y font leurs tentes tout l’hiver,
    Et les enfants, l’été, s’ébattent dans l’eau, bleue,
    Sous le triton qui tient un dauphin par la queue.
    Au beau milieu surgit un chaos où l’on voit
    Dans un antre de...

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    Au mois de novembre, à midi,
    Je foulais cette large place
    Au sol vague, formant terrasse
    Sur la campagne à l’infini.

    A gauche, un aqueduc s’allonge
    Par-dessus les plis du désert
    Et dans les montagnes se perd
    Aussi loin que le regard plonge ;

    Vieil échanson que n’use point
    La soif des races, il commence
    A mes pieds par une...

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    Il pleut. J’entends le bruit égal des eaux ;
    Le feuillage, humble et que nul vent ne berce,
    Se penche et brille en pleurant sous l’averse ;
    Le deuil de l’air afflige les oiseaux.

    La bourbe monte et trouble la fontaine,
    Et le sentier montre à nu ses cailloux.
    Le sable fume, embaume et...

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    Depuis que la beauté, laissant tomber ses charmes,
    N’a plus offert qu’un marbre à mon désir vainqueur ;
    Depuis que j’ai senti mes plus brûlantes larmes
                 Rejaillir froides à mon cœur ;

    A présent que j’ai vu la volupté malsaine
    Fléchir tant de beaux fronts qui n’ont pu se lever,
    Et que j’ai vu parfois luire un enfer obscène...