• Vues des Anges, les cimes des arbres peut-être
    sont des racines, buvant les cieux ;
    et dans le sol, les profondes racines d'un hêtre
    leur semblent des faîtes silencieux.

    Pour eux, la terre, n'est-elle point transparente
    en face d'un ciel, plein comme un corps ?
    Cette terre ardente, où se lamente
    auprès des sources l'oubli des morts.

  • Paume, doux lit froissé
    où des étoiles dormantes
    avaient laissé des plis
    en se levant vers le ciel.

    Est-ce que ce lit était tel
    qu'elles se trouvent reposées,
    claires et incandescentes,
    parmi les astres amis
    en leur élan éternel ?

    Ô les deux lits de mes mains,
    abandonnés et froids,
    légers d'un absent poids
    de ces...

  • Après une journée de vent,
    dans une paix infinie,
    le soir se réconcilie
    comme un docile amant.

    Tout devient calme, clarté...
    Mais à l'horizon s'étage,
    éclairé et doré,
    un beau bas-relief de nuages.

  • Comme un verre de Venise
    sait en naissant ce gris
    et la clarté indécise
    dont il sera épris,

    ainsi tes tendres mains
    avaient rêvé d'avance
    d'être la lente balance
    de nos moments trop pleins.

  • Ce ne sont pas des souvenirs
    qui, en moi, t'entretiennent ;
    tu n'es pas non plus mienne
    par la force d'un beau désir.

    Ce qui te rend présente,
    c'est le détour ardent
    qu'une tendresse lente
    décrit dans mon propre sang.

    Je suis sans besoin
    de te voir apparaître ;
    il m'a suffi de naître
    pour te perdre un peu moins.

  • N'est-ce pas triste que nos yeux se ferment ?
    On voudrait avoir les yeux toujours ouverts,
    pour avoir vu, avant le terme,
    tout ce que l'on perd.

    N'est-il pas terrible que nos dents brillent ?
    Il nous aurait fallu un charme plus discret
    pour vivre en famille
    en ce temps de paix.

    Mai s n'est-ce pas le pire que nos mains se cramponnent,...

  • Contrée ancienne, aux tours qui insistent
    tant que les carillons se souviennent -,
    aux regards qui, sans être tristes,
    tristement montrent leurs ombres anciennes.

    Vignes où tant de forces s'épuisent
    lorsqu'un soleil terrible les dore ...
    Et, au loin, ces espaces qui luisent
    comme des avenirs qu'on ignore.

  • Préfères-tu, rose, être l'ardente compagne
    de nos transports présents ?
    Est-ce le souvenir qui davantage te gagne
    lorsqu'un bonheur se reprend ?

    Tant de fois je t'ai vue, heureuse et sèche,
    - chaque pétale un linceul -
    dans un coffret odorant, à côté d'une mèche,
    ou dans un livre aimé qu'on relira seul.

  • N'es-tu pas notre géométrie,
    fenêtre, très simple forme
    qui sans effort circonscris
    notre vie énorme ?

    Celle qu'on aime n'est jamais plus belle
    que lorsqu'on la voit apparaître
    encadrée de toi ; c'est, ô fenêtre,
    que tu la rends presque éternelle.

    Tous les hasards sont abolis. L'être
    se tient au milieu de l'amour,
    avec ce...

  • Qu'il est doux parfois d'être de ton avis,
    frère aîné, ô mon corps,
    qu'il est doux d'être fort
    de ta force,
    de te sentir feuille, tige, écorce
    et tout ce que tu peux devenir encor,
    toi, si près de l'esprit.

    Toi, si franc, si uni
    dans ta joie manifeste
    d'être cet arbre de gestes
    qui, un instant, ralentit
    les allures célestes
    ...