• Midi. Pas d’ombre. Un ciel d’acier, pulvérulent.
    La terre, brique sombre, au soleil se fendille.
    Par moments, une odeur lointaine de vanille
    Flotte, exquise, dans l’air immobile & brûlant.

    Là-bas, longeant la mer huileuse qui scintille,
    S’alignent les maisons aux murs bas peints en blanc,
    En rose, en lilas tendre, en vert pâle, en jonquille,
    De la...

  • Cinq heures. — Je me lève et je passe au jardin.
    O fraîcheur, ô silence, ô minute d’Éden !
    O solitude, ô paix ! l’aurore vient de naître.
    Nul voisin ne se montre encore à sa fenêtre !
    Le soleil, aux rayons à peine réveillés,
    Éclabousse de feux les feuillages mouillés.
    Tout est charmant et pur ! et mon regard se pose,
    Candide et réjoui, sur une jeune...

  • On vend du muguet blanc sous les portes cochères.
    Le soleil est doux comme une lune de miel.
    Les arbres reverdis font l’éloge du ciel,
    Et les prédicateurs descendent de leurs chaires.

    Il pleut de la gaîté. Tout le monde a vingt ans.
    Le cœur bat follement au fond de la poitrine ;
    La main tremble ; on sourit sans motif ; la narine
    Se grise des parfums...

  • A l’ombre des forêts je suis rasséréné.
    Oui, j’aime comme un fils ces vertes solitudes.
    Là, des temps primitifs que vit mon humble aîné,
    Je trouve l’innocence avec ses quiétudes.

    Dans les bois je reprends d’antiques habitudes,
    Tout un passé renaît en mon cœur étonné.
    Et, gai, vous oubliant, humaines lassitudes,
    Vers les arbres je cours d’un élan...

  • Un souvenir d’enfance, assoupi dans mon cœur,
    Que le retour de Mars joyeusement réveille,
    C’est celui d’une Enseigne où trône une bouteille
    Qu’emplit, ô Cambrinus, ta fougueuse liqueur :

    Caressant d’un colback haut le plumet vainqueur
    (Cependant que déjà butine aux champs l’abeille),
    Deux houzards moustachus, attablés sous la treille,
    Sont là, prêts à...

  • Minuit. — La bise mord comme sur l’esplanade
    Du château d’Elseneur, pendant la promenade
    Que je fais, l’arme au bras, bizarre, dans mon coin.
    Je veille sur six cent trente bottes de foin.
    Telle est ma fonction à l’heure des doux rêves.
    Un petillement sourd de fusillades brèves
    Succède, par moments, au silence profond.
    Bon. Ce sont nos amis de là-bas...

  • Je regarde sortir les gamins de l’école.
    Tatoués d’encre, et gais, ils traînent en marchant
    Sur les trottoirs jaunis par le soleil couchant,
    Quelque livre en lambeaux qu’unit en vain la colle.

    A cloche-pied, avec des cris aigus, les grands
    Exécutent les pas d’une sauvage danse ;
    D’autres, les tout petits, abandonnent les rangs,
    Pour boire avec délice...

  • Suspendue aux rameaux plus qu’obligeants d’un frêne,
    Tu t’inclines vers l’eau limpide de la Seine :
    Ton visage charmant s’y reflète, et tu ris.
    Très-bien. C’est un miroir qui vaut ceux de Paris.
    Mais, prends bien garde, enfant ! si tout à coup le fleuve
    Te volait ton image exquise et toute neuve,
    Et s’en allait, joyeux, la porter à la mer !…
    Vois-tu...