• Naufragé converti, j’ai voué ma carène
    Au repos absolu ; je vous renonce, ô mers !
    Et vous, dangers aimés, traîtres cieux, bords pervers,
    Hurlements de Charybde, appels de la Syrène !

    Ainsi je me berçais sur la plage sereine,
    Lorsqu’un cri de détresse émeut soudain les airs,
    Et j’aperçois, roulant parmi les flots amers,
    Une pâle beauté dont la perte...

  • J’ai mon sein, j’ai dans mon âme
    Un désir d’amour étouffant :
    Que veut mon rêve ? est-ce une femme,
    Blonde et pure comme une enfant ?

    Est-ce une vierge qui m’attire,
    Pâle sous l’or de ses cheveux ?
    J’aime et j’étouffe et ne sais dire,
    Ô mon cœur fou, ce que tu veux.

    Pourquoi, quand les chauds couchants roses
    Exaltent les fleurs dans les...

  • La lune luit ; le ciel est bleu ; le grillon chante ;
    Nulle âme en ce moment n’a droit d’être méchante.
    Tout contour s’amollit sous la douce clarté
    Que dans le grand ciel bleu fait cette nuit d’été.
    Les chevreuils, les faisans, les cerfs connaissent l’heure
    Où dans les bois profonds la fougère est meilleure,
    Où la mousse se creuse en moelleux abris
    ...

  • L’immensité t’écrase, — impasse
    Dont les sphères sont l’horizon ;
    Regarde à tes pieds, ô Raison !
    Les cieux sont hauts, ta vue est basse.

    Vois ! pour l’humble ciron qui passe,
    L’univers est fait d’un gazon ;
    Une heure écoule une saison ;
    Le point lui-même est un espace.

    De ces infiniment petits,
    Les impalpables sont sortis,
    Les...

  • Arlequin au nez noir, Pierrot au masque blême
    Me font envie ; et c’est mon intime souhait
    De vivre dans ce monde idéal et muet,
    Où, comme parmi nous, l’on s’agite et l’on aime.

    L’un ou l’autre incarnant mon esprit inquiet,
    Je tournerais dans un rôle toujours le même,
    Sur la pointe du pied, jusques au souffle extrême
    D’un orchestre jouant des airs de...

  • J’ai reposé mon cœur avec tranquillité
    Dans l’asile très-sûr d’un amour très-honnête.
    La lutte que je livre au sort est simple et nette,
    Et tout peut m’y trahir, non la virilité.

    Je ne crois pas à ceux qui pleurent, l’âme éprise
    De la sonorité de leurs propres sanglots :
    Leur idéal est né de l’écume des mots,
    Et comme je les tiens pour nuls, je les...

  • Il est charmant ce paysage,
    Peu compliqué, mais que veux-tu ?
    Ce n’est qu’une mer de feuillage
    Où, timide, à peine surnage
    Un tout petit clocher pointu.

    Au premier plan, toujours tranquille,
    La Saône reluit au matin.
    Par instants de l’herbe immobile
    Un bœuf se détache et profile
    Ses cornes sur le ciel lointain.

    Vis-à-vis, gardant...

  • Aux rayons de l’ardent soleil de thermidor,
    Sous le riche manteau de ses moissons, la plaine
    Semble assoupie, ainsi qu’une génisse pleine
    Que son labeur épuise et fait souffrir encor.

    Aucun oiseau dans l’air pesant ne prend l’essor ;
    Seuls, planent ça et là de blancs flocons de laine.
    Un zéphyre léger et doux comme une haleine
    Fait onduler les champs...

  • Les hommes sont aux champs et chaque maison vide,
    Muette et close aux feux étouffés du soleil,
    Sous le poids lourd d’un ciel à l’ardoise pareil,
    S’endort dans la torpeur de son ombre livide.

    Miroitement aigu dans ce calme de mort,
    La tuile qui reluit a des éclairs farouches
    Et sur le fumier vibre un tourbillon de mouches,
    Sous les traits acérés du...

  • Minuit. — La bise mord comme sur l’esplanade
    Du château d’Elseneur, pendant la promenade
    Que je fais, l’arme au bras, bizarre, dans mon coin.
    Je veille sur six cent trente bottes de foin.
    Telle est ma fonction à l’heure des doux rêves.
    Un petillement sourd de fusillades brèves
    Succède, par moments, au silence profond.
    Bon. Ce sont nos amis de là-bas...