• Le chêne est vieux ; les ans, les vents & le tonnerre
    Ont fait brèche à son front quatre fois centenaire.
    Squelette immense, au loin, dans la brume des soirs,
    Il tord sous un ciel gris ses bras noueux & noirs ;
    Sur ses minces rameaux tremble un feuillage rare ;
    Le prodigue printemps pour lui s’est fait avare ;
    Dans le concert de juin il se tait, il...

  • Comme elle était chrétienne & n’avait pas voulu,
    Pour de vains dieux d’argile & de bois vermoulu,
    Allumer de l’encens ni célébrer des fêtes,
    Le préteur ordonna de la livrer aux bêtes ;
    Et comme elle était jeune & vierge, & rougissait
    Quand l’œil du juge impur sur elle se fixait,
    Une clause formelle en l’édit contenue
    Précisa qu’au...

  • Un matin, le long d’une bruyère
    A l’éclat tout vermeil,
    J’aperçus une noire vipère
    Qui dormait au soleil.
    L’animal, entendant mon approche,
    ...

  • Elle n’a pas perdu de son cœur un pistil,
    Ni du frêle tissu de sa corolle un fil ;
    La page ondule encore où sécha la rosée
    De son dernier matin, mêlée à d’autres pleurs ;
    La mort en la cueillant l’a seulement baisée,
    Et, soigneuse, n’a fait qu’éteindre ses couleurs,
    Mais ne l’a...

  • Chaque être est, dans le tout, un exemplaire unique :
    Avant, rien de semblable ; après, rien de pareil !
    Et chaque fois que Dieu crée & se communique,
    C’est un enfantement, ce n’est pas un réveil.

    Dans sa mobilité partout la vie abonde,
    Sans pouvoir revenir au chemin parcouru ;
    On ne remplace pas un ciron dans le monde :
    L’être est irréparable,...

  • L’Éden était fermé. La terre ouvrait ses routes :
    Adam, d’un seul regard, les interrogea toutes,
    Et, ne pouvant choisir parmi tant de chemins,
    Il se tourna vers Ève & dit : « Étends les mains :
    Je te laisse le choix entre tous nos domaines.
    Puisque j’ai quitté Dieu, qu’importe où tu me mènes ?
    Ma patrie est partout avec Ève ; ses yeux
    Me tiendront...

  • Des ombres de la nuit la campagne est voilée.
    Nul astre aux cieux. Le vent d’automne dans les bois
    Passe, souffle & murmure, & remplit la vallée
    De sifflements pareils à de lugubre voix.

    Malheur au vagabond qui, malade & sans gîte,
    Par ce tempe lamentable erre loin des hameaux !
    Malheur au sein pensif où la douleur s’agite,
    Et qui veille...

  • Tout cuirassé de rocs anguleux & chenus,
    Le pic inaccessible & qui ne veut pas d’hôtes
    Va se perdre au-dessus des crêtes les plus hautes,
    Vers le fourmillement des mondes inconnus.

    Jamais nos sueurs n’ont fécondé ses flancs nus
    Et le sillon jamais n’a déchiré ses côtes ;
    Et nos sombres labeurs, nos désespoirs, nos fautes,
    Bruits sinistres,...

  • Le soleil s’est levé du milieu des collines
    Comme le premier-né divin des nuits d’été,
    Déchirant, dans un vol de flammes emporté,
    Du matin frissonnant les frêles mousselines.

    Les champs, l’eau, les forêts graves & sibyllines,
    La terre jusqu’au ciel tressaille de clarté.
    Le chœur universel des bêtes a chanté,
    Voix dans l’air, voix des bois,...

  • Un large ruban d’or illumine la cime
    Des coteaux dont la brume a noyé le versant.
    L’horizon se déchire, & le soleil descend
    Sous les nuages roux qui flottent dans l’abîme
    Comme un riche archipel sur une mer de sang.

    De confuses rumeurs s’éveillent par la plaine,
    Et dans son champ, debout aux rebords des sillons,
    Travailleur obstiné sous les...