• Lorsque tu dormiras, ma belle ténébreuse,
    Au fond d'un monument construit en marbre noir,
    Et lorsque tu n'auras pour alcôve et manoir
    Qu'un caveau pluvieux et qu'une fosse creuse ;

    Quand la pierre, opprimant ta poitrine peureuse
    Et tes flancs qu'assouplit un charmant nonchaloir,
    Empêchera ton coeur de battre et de vouloir,
    Et tes pieds de courir leur...

  • DESSIN D'UN MAITRE INCONNU

    Au milieu des flacons, des étoffes lamées
    Et des meubles voluptueux,
    Des marbres, des tableaux, des robes parfumées
    Qui traînent à plis somptueux,

    Dans une chambre tiède où, comme en une serre,
    L'air est dangereux et fatal,
    Où des bouquets mourants dans leurs cercueils de verre
    Exhalent leur soupir final,
    ...

  • Le Démon, dans ma chambre haute,
    Ce matin est venu me voir,
    Et, tâchant à me prendre en faute,
    Me dit : " Je voudrais bien savoir,

    Parmi toutes les belles choses
    Dont est fait son enchantement,
    Parmi les objets noirs ou roses
    Qui composent son corps charmant,

    Quel est le plus doux. " - Ô mon âme !
    Tu répondis à l'Abhorré :
    " Puisqu'...

  • Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
    Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
    Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
    Le navire glissant sur les gouffres amers.

    A peine les ont-ils déposés sur les planches,
    Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
    Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
    Comme des avirons traîner à...

  • En quelque lieu qu'il aille, ou sur mer ou sur terre,
    Sous un climat de flamme ou sous un soleil blanc,
    Serviteur de Jésus, courtisan de Cythère,
    Mendiant ténébreux ou Crésus rutilant,

    Citadin, campagnard, vagabond, sédentaire,
    Que son petit cerveau soit actif ou soit lent,
    Partout l'homme subit la terreur du mystère,
    Et ne regarde en haut qu'avec un...

  • A la très chère, à la très belle
    Qui remplit mon coeur de clarté,
    A l'ange, à l'idole immortelle,
    Salut en l'immortalité !

    Elle se répand dans ma vie
    Comme un air imprégné de sel,
    Et dans mon âme inassouvie
    Verse le goût de l'éternel.

    Sachet toujours frais qui parfume
    L'atmosphère d'un cher réduit,
    Encensoir oublié qui fume
    En...

  • Viens-tu du ciel profond ou sors-tu de l'abîme,
    Ô Beauté ! ton regard, infernal et divin,
    Verse confusément le bienfait et le crime,
    Et l'on peut pour cela te comparer au vin.

    Tu contiens dans ton oeil le couchant et l'aurore ;
    Tu répands des parfums comme un soir orageux ;
    Tes baisers sont un philtre et ta bouche une amphore
    Qui font le héros lâche et...

  • Lecteur, as-tu quelquefois respiré
    Avec ivresse et lente gourmandise
    Ce grain d'encens qui remplit une église,
    Ou d'un sachet le musc invétéré ?

    Charme profond, magique, dont nous grise
    Dans le présent le passé restauré !
    Ainsi l'amant sur un corps adoré
    Du souvenir cueille la fleur exquise.

    De ses cheveux élastiques et lourds,
    Vivant...

  • La femme cependant, de sa bouche de fraise,
    En se tordant ainsi qu'un serpent sur la braise,
    Et pétrissant ses seins sur le fer de son busc,
    Laissait couler ces mots tout imprégnés de musc :
    " Moi, j'ai la lèvre humide, et je sais la science
    De perdre au fond d'un lit l'antique conscience.
    Je sèche tous les pleurs sur mes seins triomphants,
    Et fais rire les...

  • Quand je te vois passer, ô ma chère indolente,
    Au chant des instruments qui se brise au plafond
    Suspendant ton allure harmonieuse et lente,
    Et promenant l'ennui de ton regard profond ;

    Quand je contemple, aux feux du gaz qui le colore,
    Ton front pâle, embelli par un morbide attrait,
    Où les torches du soir allument une aurore,
    Et tes yeux attirants comme...