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    Si j’ose comparer le déclin de ma vie
    À ton coucher sublime, ô Soleil ! je t’envie.
    Ta gloire peut sombrer, le retour en est sûr :
    Elle renaît immense avec l’immense azur.
    De ton sanglant linceul tout le ciel se colore,
    Et le regard funèbre où luit ton dernier feu,
    Ce regard sombre et doux, dont tu couves encore
    Le lys que ta ferveur a fait...

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    Dans les verres épais du cabaret brutal,
    Le vin bleu coule à flots et sans trêve à la ronde ;
    Dans les calices fins plus rarement abonde
    Un vin dont la clarté soit digne du cristal.

    Enfin la coupe d’or du haut d’un piédestal
    Attend, vide toujours, bien que large et profonde,
    Un cru dont la noblesse à la sienne réponde :
    On tremble d’en...

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    Les criminels parfois ne sont pas les méchants,
    Mais ceux qui n’ont jamais pu connaître en leur vie
    Ni le libre bonheur des bêtes dans les champs,
    Ni la sécurité de la règle suivie.

    Que d’amour ténébreux sans lit et sans foyer !
    Que de coussins foulés en hâte dans les bouges !
    Que de fiacres errants honteux de déployer
    Par des jours sans...

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    Quelqu’un m’est apparu très loin dans le passé :
    C’était un ouvrier des hautes Pyramides,
    Adolescent perdu dans ces foules timides
    Qu’écrasait le granit pour Chéops entassé.

    Or ses genoux tremblaient ; il pliait, harassé
    Sous la pierre, surcroît au poids des cieux torrides ;
    L’effort gonflait son front et le creusait de rides ;
    Il cria tout à...

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    Sans bruit, sous le miroir des lacs profonds et calmes,
    Le cygne chasse l’onde avec ses larges palmes,
    Et glisse. Le duvet de ses flancs est pareil
    A des neiges d’avril qui croulent au soleil ;
    Mais, ferme et d’un blanc mat, vibrant sous le zéphire,
    Sa grande aile l’entraîne ainsi qu’un lent navire.
    Il dresse son beau col au-dessus des roseaux,...

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    Le dimanche, au salon, pêle-mêle se rue
    Des bourgeois ébahis la bizarre cohue
    Qui s’en vient, chaque année, à la foire des arts,
    Vainement amuser ses aveugles regards.
    Ainsi devant le beau, dont il ne s’émeut guère,
    L’obscur faiseur de gloire appelé le vulgaire
    Va, la bouche béante et l’œil vide, pareil
    À des flots de moutons bêlant vers le...

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    Toutes, portant l’amphore, une main sur la hanche,
    Théano, Callidie, Amymone, Agavé,
    Esclaves d’un labeur sans cesse inachevé,
    Courent du puits à l’urne où l’eau vaine s’épanche.

    Hélas ! le grès rugueux meurtrit l’épaule blanche,
    Et le bras faible est las du fardeau soulevé :
    « Monstre, que nous avons nuit et jour abreuvé,
    Ô gouffre, que nous...

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    Le fond de l’océan ravit l’œil des sondeurs :
    Mystérieux printemps, Éden multicolore
    Qui tressaille en silence et ne cesse d’éclore
    Aux frais courants, zéphyrs des glauques profondeurs.

    Lourds oiseaux d’un ciel vert, d’innombrables rôdeurs,
    Dans les enlacements d’une vivante flore,
    Et sous un jour voilé comme une pâle aurore,
    Glissent en...

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    I

    Six percherons égaux, blancs et nourris d’avoine,
    Traînaient un chêne entier dont les cimes pendaient,
    Et les larges pavés du faubourg Saint-Antoine
    A chaque tour de roue en remuant grondaient.

    Les feuilles bruissaient et balayaient la rue
    Dans un flot de poussière ; on entendait parfois
    Grincer le cabestan, gémir l’énorme grue,
    Les...

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    Une eau croupie est un miroir
    Plus fidèle encor qu’une eau pure,
    Et l’image la transfigure,
    Prêtant ses couleurs au fond noir.

    Aurore, colombe et nuée
    y réfléchissent leur candeur,
    Et du firmament la grandeur
    N’y semble pas diminuée.

    A fleur de ce cloaque épais
    Les couleuvres et les sangsues,
    Mille bêtes inaperçues,
    ...