Marguerite de Navarre

  • Le temps est bref et ma volonté grande,
    Qui ne me veut permettre le penser ;
    Ma passion me contraint et commande,
    Selon le temps, le parler compenser.
    Jusques ici j'ai craint de m'avancer,
    En attendant un temps de long loisir,
    Mais il n'est pas en moi de le...

  • Plus j'ai d'amour plus j'ai de fâcherie,
    Car je n'en vois nulle autre réciproque ;
    Plus je me tais et plus je suis marrie,
    Car ma mémoire, en pensant, me révoque
    Tous mes ennuis, dont souvent je me moque
    Devant chacun, pour montrer mon bon sens ;
    A mon malheur moi-...

  • J'aime une amie entièrement parfaite,
    Tant que j'en sens satisfait mon désir.
    Nature l'a, quant à la beauté, faite
    Pour à tout oeil donner parfait plaisir ;
    Grâce y a fait son chef d'oeuvre à loisir,
    Et les vertus y ont mis leur pouvoir,
    Tant que l'ouïr, la...

  • Elle m'a dit : "Par refus ou tourment
    Je vous ferai laisser votre entreprise."
    Mais Amour dit : "Aimez la fermement,
    Car à la fin, soit douleur ou surprise,
    Par mon moyen vous en ferez la prise,
    Et vous rendrai de son corps le vainqueur."
    Helas ! Amour, ce m'est...

  • Si Dieu m'a Christ pour chef donné,
    Faut-il que je serve autre maître ?
    S'il m'a le pain vif ordonné,
    Faut-il du pain de mort repaître ?
    S'il me veut sauver par sa dextre,
    Faut-il en mon bras me fier ?
    S'il est mon salut et mon être,
    Point n'en faut d'...

  • Un ami vif vint à la dame morte,
    Et par prière il la cuida tenter
    De le vouloir aimer de même sorte,
    Puis la pressa juqu'à la tourmenter ;
    Mais mot ne dit, donc, pour se contenter,
    Il essaya de l'embrasser au corps.
    Contrainte fut la Dame dire alors :
    " Je vous...

  • Adieu l'object qui feist premierement
    Tourner sur luy la force de mes yeulx,
    Le doulx maintien, l'honneste acoustrement,
    Armé, vestu en tous jeux et tous lieux,
    Tant que nul oeil ne se peult loger mieulx
    Qu'a faict le mien. Adieu la bonne audace :
    Si vous n'...

  • Rondeau

    Mon seul Sauveur, que vous pourrais-je dire ?
    Vous connaissez tout ce que je désire ;
    Rien n'est caché devant votre savoir ;
    Le plus profond du coeur vous pouvez voir
    Par quoi à vous seulement je soupire.

    Je n'ai espoir en roi, roc ni empire...

  • Je n'ai plus ni père, ni mère,
    Ni soeur, ni frère
    Sinon Dieu seul auquel j'espère,
    Qui sur le ciel et terre impère ;
    Là-haut, là-bas,
    Tout par compas ;
    Compère, commère,
    Voici vie prospère.

    Je suis amoureux non en ville,
    Ni en maison, ni...

  • Ô prompt à croire et tardif à savoir
    Le vrai, qui tant clairement se peut voir,
    A votre coeur reçu telle pensée
    Qu'à tout jamais j'en demeure offensée ?
    Est-il entré dans votre entendement,
    Que dans mon coeur y ait un autre amant ?
    Hélas ! mon Dieu, avez-vous...