1914-1916/Le Père

Tes pas sont lourds. L’âge te courbe. Tu es vieux
Et cependant je vois une flamme en tes yeux…
Quels sont les mots confus que murmure ta bouche ?
Dis-moi, pourquoi cet air joyeusement farouche ?
Ah ! j’ai compris. Pardonne-moi. Ne réponds pas.
Ton deuil me dit assez que ton fils est là-bas
Tombé, la face au ciel, sous la balle allemande,
Noblement, ainsi que le devoir le commande.

Pardonne, je comprends ta douleur, inconnu !
Tu pourrais, à grands cris, pleurer l’enfant perdu,
Serrer tes poings, haïr la guerre et la maudire,
Et tu passes, stoïque et grave, et je t’admire
Pour cette sombre joie et pour cette fierté
Farouche que je lis dans ton œil irrité,
Ô père qui, sans pleurs, sur ta joue amaigrie,
As reçu le baiser sanglant de la Patrie.

Collection: 
1914

More from Poet

 
Je ne veux de personne auprès de ma tristesse
Ni même ton cher pas et ton visage aimé,
Ni ta main indolente et qui d’un doigt caresse
Le ruban paresseux et le livre fermé.
 
Laissez-moi. Que ma porte aujourd’hui reste close ;
N’ouvrez pas ma...

 
« N’avez-vous pas tenu en vos mains souveraines
La souplesse de l’eau et la force du vent ?
Le nombreux univers en vous fut plus vivant
Qu’en ses fleuves, ses flots, ses fleurs et ses fontaines. »

C’est vrai. Ma bouche a bu aux sources souterraines ;
La...

 
O Vérone ! cité de vengeance et d’amour,
Ton Adige verdi coule une onde fielleuse
Sous ton pont empourpré, dont l’arche qui se creuse
Fait l’eau de bile amère et de sang tour à tour !

Le dôme, le créneau, la muraille, la tour,
Le cyprès dur jailli de la...

 
Sépulcre de silence et tombeau de beauté,
La Tristesse conserve en cendres dans son urne
Les grappes de l’automne et les fruits de l’été,
Et c’est ce cher fardeau qui la rend taciturne,

Car sa mémoire encore y retrouve sa vie
Et l’heure disparue avec la...

 
Sois nombreux par le Verbe et fort par la Parole,
Actif comme la ruche et comme la cité ;
Imite tour à tour avec fécondité
La foule qui demeure et l’essaim qui s’envole.

Travaille, croîs, grandis ! que ta hauteur t’isole,
Et dresse dans le ciel sur le monde...