Le Vieux Mouton

 
Trop âgé pour avoir pu suivre le troupeau,
Il était resté là, perdu comme une épave :
Et dans un gouffre, auprès d’un torrent plein de bave,
Il traînait le cancer qui lui mangeait la peau.

Le fait est que le Diable en eût fait un suppôt,
Tant la sorcellerie habitait son œil cave
Et tant il avait pris, sur le bord de ce gave,
La nudité du ver et le pas du crapaud.

Je m’enfuis ! Car la bête accueillait mon approche
Avec un bêlement de haine et de reproche
Strident comme une voix qui crie : « À l’assassin ! »

Et la nuit ténébreuse installait son royaume,
Que j’entendais toujours sangloter en mon sein
La malédiction du vieux mouton fantôme.

Collection: 
1866

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Toujours la longue faim me suit comme un recors ;
La ruelle sinistre est mon seul habitacle ;
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Brusque, avec un frisson
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S'échapper du buisson.
Ni mouche ni pinson ;
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La chanson
Sur la lèvre.

Tremblant au moindre accroc,
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