Le Silence

 
Tu te plains que je garde un silence farouche,
Que toujours près de toi mon front semble attristé :
Tu voudrais, me dis-tu, que mes yeux, que ma bouche
S’éclairassent encor d’un rayon de gaîté.

Tu dis vrai ; je le sens, je ne suis point aimable ;
Un voile ténébreux est tombé sur mes traits ;
Mais si d’autres m’ont fait un reproche semblable,
J’avais cru que dit moins tu me l’épargnerais.

Je sais qu’il fut des jours où ce front sans nuage
Peignait un cœur plus libre, un esprit plus riant ;
Où je savais parler ce frivole langage
Qu’on adresse à ton sexe, et qui l’enivre tant.

Mais ces jours de soleil ont cessé de sourire :
Je t’ai vue, et soudain tout s’est voilé pour moi ;
Esprit, vivacité, grâces, joyeux délire,
Tout a fui ; — dans mon cœur il n’est resté que toi.

Ah ! si tu m’observais, si ton âme légère
Au sentiment du vrai pouvait encor s’ouvrir ;
Si tu savais aimer autant que tu sais plaire,
Si tu sentais, hélas ! ce que tu fais sentir ;

Tu saurais que l’amour a sa langue muette :
Qu’aux oreilles du monde il en ferme l’accès ;
Qu’un regard, un soupir, une larme secrète,
Ont un sens que la voix n’exprimera jamais.

Tu saurais distinguer cette autre voix plus tendre,
Dont le cœur connaît seul l’accent ! mystérieux,
Pareil aux sons divins que l’âme fait entendre
Dans le vague du soir, dans le calme des cieux.

Oh ! ne me fais donc plus un crime du silence ;
Ne viens plus à plaisir déchirer ton amant ;
Laisse-le s’enivrer de ta douce présence,
En sentir, en goûter le vague enchantement.

Laisse-le dans ses yeux te peindre son délire,
Respirer à tes pieds l’air léger du bonheur !
Qu’as-tu besoin de mots ? que pourrais-je te dire ?
Je n’ai qu’un mot pour toi : lui seul est tout mon cœur.

Collection: 
1820

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