Le Parnasse contemporain/1869/L’Aspiration

L’aspiration est pareille
À l’oiseau, vautour ou condor,
Qui plane dans l’aube vermeille,
Dans les nuits & les couchants d’or.

On aime ensemble & l’on redoute
Cet oiseau fauve au bec de fer
Qui sait se creuser une route
Dans la nuée & dans l’éclair.

Celui qui l’ignore le nomme
Roc ou Phénix, & n’y croit pas ;
Satisfait, il condamne l’homme
Aux seuls horizons d’ici-bas.

D’autres le connaissent, dont l’âme
Vainement veut le suivre aux cieux ;
Son bec, comme une atroce lame,
Perce leur cœur, crève leurs yeux.

Il les déchire, il les lacère,
Et, cruel & cependant beau,
Les tenant couchés sous sa serre,
S’en repaît lambeau par lambeau.

Ils sont vaincus. Il les écrase
Entre ses griffes & le sol ;
Ils n’ont pas la suprême extase
De lui voir déployer son vol.

D’autres, rares, ont cette joie
De voir pour son royal essor
Sa grande aile qui se déploie
Sans qu’il les ait blessés encor !

Victoire ! L’oiseau les enlève
Selon leurs grés, &, sans effort,
Il les emporte dans le rêve,
Dans l’espérance, vers la mort.

Leur sang sous ses ongles ruisselle ;
Mais qu’importe ? puisqu’à leurs yeux
Éblouis, à chaque coup d’aile,
Apparaissent de nouveaux cieux !

Ils montent, & sous eux s’écroule,
Ô nuages, votre babel !
Ils montent. Sous eux se déroule
La toile biblique du ciel.

Ils dépassent tout. C’est un songe
Comme n’en ont pas les sommeils ;
Le groupe vertigineux plonge
Plus haut que les plus hauts soleils !

Mais dans ces régions profondes,
Prêt d’atteindre aux sources du jour,
Ô terreur !… à travers les mondes
L’homme est lâché par le vautour !

Collection: 
1971

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