Le Parnasse contemporain/1866/Prière secrète

Mon Dieu ! toi qui sais tout, oh ! ne m’ordonne pas
D’atteindre aux sombres jours de la froide vieillesse ;
De voir mon corps s’user, et tomber pièce à pièce,
Et la destruction me gagner pas à pas ;
D’être un morne objet d’épouvante,
Ou qu’on suit d’un regard moqueur ;
D’assister enfin, moi vivante,
Aux funérailles de mon cœur !

Grâce ! ne permet pas, mon Dieu ! que je survive
A l’espérance fugitive,
Aux illusions, mon trésor.
Grâce ! qu’avant la nuit mes paupières soient closes,
Tandis que le sourire encor
Effleurera mes lèvres roses !

Je ne veux point peser ma vie au poids des ans ;
La mesurer au cours des heures prolongées ;
Je veux seulement, Dieu des âmes affligées,
Après tant de désirs et de rêves cuisants,
Connaître ce bonheur, qu’un vague espoir devine ;
Voir s’épanouir un seul jour,
Dans toute sa beauté, la fraîche fleur divine
De la jeunesse et de l’amour !

Je veux, un seul été, m’enivrer de délice
Dans la coupe mortelle ; … il faut
Que mon rêve céleste ici-bas s’accomplisse…
Et puis, mon Créateur, rappelle-moi, là-haut,
Où, parmi les soleils, tes magnifiques sables,
Je serai, si tes bras ne me font pas défaut,
Un des esprits impérissables !…

Là-haut, où, quand les temps comme un torrent ont fui,
L’éternité s’allonge, à soi-même pareille ;
Où, — prodige adorable ! — on ne devient pas vieille.
Où le plaisir n’est point le père de l’ennui ;
Là-haut, où rien ne se passe, où rien n’est infidèle ;
Où les félicités, les amours n’ont point d’aile,
demain ne doit plus menacer aujourd’hui.

Collection: 
1971

More from Poet

J'ai beau me rappeler... Joseph Delorme... non ;
Nul écho dans mon coeur ne s'éveille à ce nom.
Joseph !... Lisons toujours. - Ah ! jeune aiglon sauvage,
Cygne plaintif, amour des eaux et du rivage,
Pour souffrir et chanter, sur la terre venu,
Tu meurs enfin......

Quand la Rome d'orgie, après le moindre choc,
Tombait de pourriture, ayant au cœur son chancre,
Ou comme un vieux vaisseau, désarmé de son ancre,
Sur une mer de sang sombrait de roc en roc ;

Guettant mourir la ville, enfoui sous son froc,
Un sale Juif, avec ses...

C’est la huitième journée
De la bataille donnée
Aux bords du Guadalèté
Maures et chrétiens succombent,
Comme les cédrats qui tombent
Sous les flèches de l’été.

Sur le point qui les rassemble
Jamais tant d’hommes ensemble
N’ont combattu tant de...

(Traduit du Russe, de la comtesse Ropstochin.)

Mon Dieu ! toi qui sais tout, oh ! ne m'ordonne pas
D'atteindre aux sombres jours de la froide vieillesse ;
De voir mon corps s'user, et tomber pièce à...

Folle Albion, tu dis : « Je suis reine ! la terre
» Enfante l’or pour moi dans son sein tributaire ;
» Thétis s’enorgueillit de gronder sous ma loi. »
Tu le dis : tes nochers, sur la foi des étoiles,
...