Le Fils de l’Empereur

 
À Paul Lelièvre.

En mil huit cent trente-un, au début du printemps,
Son Altesse le duc de Reichstadt eut vingt ans.
Parfois on trouve encor quelqu’un qui se souvienne
De l’avoir vu passer sur le Prater, à Vienne,
Et qui vous contera qu’il était sans rival
Pour faire parader et volter un cheval.
En uniforme blanc, des croix plein la poitrine,
Il montait son bai-brun, à l’ardente narine,
Sans qu’on songeât, devant ce passant coutumier,

Au fils de l’empereur Napoléon premier ;
Et les braves Viennois, certes, ne pouvaient croire
Que de l’Empire mort et de sa vieille gloire
Ce major autrichien conservât le regret.
Seulement on a su depuis qu’il en mourait.

Il n’avait pas dix ans, pâle et chétive Altesse
Dans le parc de Schœnbrunn promenant sa tristesse,
Jeune aiglon se sentant vaguement prisonnier,
Quand, dans un carrefour désert, un jardinier,
Grand vieillard aux traits durs, à la moustache grise,
Prit par le bras l’enfant tout troublé de surprise ;
Puis, écartant sa veste et montrant sur son cœur
Un ruban rouge auquel pendait la croix d’honneur,
Cet homme, apparemment un des vieux de la vieille
Que Bonaparte aimait à tirer par l’oreille,
Lui cria :

                      « Monseigneur, connaissez-vous cela ?... »

Le duc fondit en pleurs ; mais, depuis ce temps-là,
Avec le froid chagrin d’un cœur qui désespère,
Tous les jours, à toute heure, il pensait à son père.
En cachette, le soir, l’enfant impérial,
Lisant les Bulletins et le Mémorial,

Évoquait les combats fameux, la Grande Armée,
Les aigles scintillant dans la rouge fumée,
Et, dominant de loin la guerre et son horreur,
Là-bas, sur le coteau, son père, l’Empereur,
Dans un ciel triomphal où plane une Bellone ;
Et, la nuit, il voyait en rêve la Colonne !

Il en mourait !

                          Un jour que cette obsession
Le torturait avec plus d’obstination,
Pour dompter à tout prix sa pensée orageuse,
Le duc se fit seller une bête ombrageuse,
Un barbe très rétif, que nul n’osait monter.
Hors de Vienne, il le fit galoper et trotter,
Et sur les grands chemins alors couverts de neige
Il plia l’animal aux travaux du manège.
Tout le jour il courut ainsi. Le cavalier,
A force de fatigue, enfin put oublier
Le glorieux souci dont son âme était pleine.
Mais, s’étant arrêté, le soir, dans une plaine,
Au moment où le froid soleil de la saison
Tombait, rouge et brumeux, derrière l’horizon,
Il ne reconnut pas le morne paysage.
Il s’était égaré. Lui soufflant au visage,

Un âpre vent du nord le faisait frissonner ;
Et le duc de Reichstadt voulut s’en retourner,
Car il se sentait mal et grelottait la fièvre.

Une femme passa, conduisant une chèvre.

« Où suis-je ? lui dit-il. J’ai perdu mon chemin. »

Alors la paysanne indiqua de la main
Un clocher de village à l’ancien roi de Rome ;
Et, tout en souriant à l’élégant jeune homme,
Elle jeta ces mots, sans plus s’en soucier :

« Vous êtes à Wagram, mon petit officier. »

Collection: 
1892

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